Nous aborderons l’exclusion et la condamnation de la consanguinité tout d’abord par le biais de la prohibition de l’inceste qui est un facteur de consanguinité. Puis, par le biais de l’évolution de la famille, et l’individualisation, qui favorisent des unions, consenties librement, non dictées par une obligation sociale.
1. Prohibition de l’inceste
L’étude de la parenté est au cœur de l’anthropologie. Elle a été le premier domaine à faire l’objet de comparaisons et de formalisation. « La recherche des origines comporte une tendance sociologique (la famille serait au fondement de tout lien social) et une tendance biologique (le besoin sexuel de la reproduction détermine les formes institutionnelles de la société) » (Introduction à l’ethnologie et à l’anthropologie, Jean Copans, Edition Arman Colin) ».
La société interprète, reconnaît ou non, sanctionne par des prescriptions* ou des interdits, le fait biologique : les relations de parenté sont donc essentiellement sociales. La parenté, selon Martine Segalen « fonctionne comme un système de classement des parents qui désigne les conduites d’évitement, de respect ou de proximité que l’on peut avoir avec eux ». (Martine Segalen, Ethnologie, Concepts et aires culturelles, Edition Armand Colin).
La théorie de la parenté s’articule autour de la filiation et de l’alliance. C’est sur le terrain de l’alliance qu’intervient la prohibition de l’inceste, c'est-à-dire l’interdiction d’une pratique contribuant à la consanguinité.
Le précurseur Emile Durkheim.
Père de la sociologie, Emile Durkheim, énonce qu’un groupe d’individus est autre chose ou même plus que la somme des personnes qui le composent (transposant la théorie des ensembles en mathématique) : il affirme le rôle spécifique de la société et la nécessite d’une science autonome : la sociologie.
Pour comprendre la structure familiale, il recommande de s’appuyer sur l’étude des coutumes, du droit, des mœurs : l’intérêt qu’on attache à une coutume c’est sa « vertu impérative », en faisant une règle, dont le non respect est passible de sanctions : il affirme que la famille peut être l’objet de généralisations scientifiques. « Est fait social, toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure » (Les règles de la méthode sociologique, 1895, PUF, 2007).
Il publie la prohibition de l’inceste longtemps avant les publications de Claude Levi Strauss (La prohibition de l’inceste et ses origines, Emile Durkheim, Payot).
Ce qui est prohibé dans l’inceste, pour lui, c’est avant tout le mariage avec un proche ; l’interdiction concerne essentiellement l’institution d’une filiation incestueuse. Il s’intéresse à la fonction sociale de l’inceste en montrant que ce dernier est principalement vécu comme une attaque contre l’ensemble du groupe social. Il constate que cet interdit est une valeur universelle, quelle que soient les justifications données. Pour quelles raisons ? Il établit une relation directe entre cet interdit et les règles d’exogamie* repérables dans les sociétés humaines, dès l’origine. Toutes les sociétés claniques* interdisent le mariage à l’intérieur d’un même clan. On ne peut s’unir dans un même clan, sans créer de dommage pour l’ensemble de la tribu.
Durkheim met en évidence l’aspect culturel de l’interdit incestueux ; il réfute toute justification biologique à l’interdit de l’inceste. Durkheim attribue la force de cet interdit simplement à la confusion qu’entraineraient les mariages endogamiques entre les liens du sang et les « liens d’inclinaison », c'est-à-dire les liens amoureux.
La nouveauté de Durkheim réside dans le fait d’avoir vu derrière l’interdit une nécessité vitale aux groupes humains, et en particulier aux familles, la nécessite de se relier à d’autres groupes, (exogamie) qui s’est transformée en obligation, puis en interdit et est de fait devenue indiscutable, car irrationnelle.
Claude Levi Strauss et la théorie de l’alliance.
De nombreux sociologues ont étudié la famille et leurs pratiques. Parmi les plus importants, se trouve Claude Lévi-Strauss, anthropologue et ethnologue*. Né à Bruxelles de parents français, le 28 novembre 1908, il commença par publier une monographie* à propos d’une population au sein de laquelle il a vécu et étudié sur le terrain : les Nambikwara des plateaux du Brésil central.
Selon C. Lévi-Strauss, la manifestation première de la culture est l’existence de règles. La nature, elle, obéit à des causes. Certaines règles, comme la prohibition de l’inceste, sont universelles, même si leurs manifestations diffèrent.
Dans son ouvrage Les structures élémentaires de la parenté, paru en 1049, il part de l’idée que la prohibition de l’inceste est présente, sous des formes différentes, dans toutes les sociétés humaines. Il en considère l’effet positif : celui d’avoir à échanger avec autrui. « La prohibition de l'usage sexuel de la fille ou de la sœur contraint à la donner en mariage à un autre homme, et, en même temps, elle crée un droit sur la fille ou sur la sœur de cet autre homme. Ainsi, toutes les stipulations négatives de la prohibition ont-elles une contrepartie positive. La défense équivaut à une obligation : et la renonciation ouvre la voie à une revendication. » (Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, Paris, Mouton, 1967, 2e édition, p.60).
Lévi-Strauss y voit l’acte fondateur par lequel les sociétés instituent la culture et s’arrachent à la nature. Selon lui, c’est « le passage du fait naturel de la consanguinité au fait culturel de l’alliance ».
La thèse de Claude Lévi-Strauss désigne ainsi l’alliance* matrimoniale comme un aspect déterminant des sociétés humaines : c’est par l’échange des femmes entre des groupes spécifiques que se construisent et se perpétuent la société et l’espèce humaine. Il montre que les femmes, les signes et les biens s’échangent, ce qui permet de créer inconsciemment des relations sociales qu’elles soient religieuse, économique et familiale. Il s’agit d'un échange réciproque. Ce phénomène prend donc la forme d'une circulation des femmes qui lie différents groupes sociaux en un ensemble unique : la société, les groupes humains n’existant que les uns pour les autres. Lévi-Strauss décrit ainsi une circulation des femmes au centre des "alliances", qui fédèrent donc les hommes entre eux. Les relations d’alliance sont ainsi pour Claude Lévi-Strauss plus importantes que les relations fondées sur la filiation, ou tout autre type de lien social.
Lévi-Strauss montre qu’il existe deux sortes de systèmes d’échange. Le plus simple implique deux groupes où la règle de mariage est telle que la réciprocité y est soit immédiate, soit différée d’une génération. Claude Lévi-Strauss appelle cela « échange restreint », car il n’assure que la permanence des liens entre deux partenaires (les femmes d'un groupe sont cédées aux hommes d'un autre groupe et réciproquement). Il oppose à ce système celui de « l’échange généralisé » impliquant un nombre quelconque de partenaires, qui ne se conçoivent pas comme directement liés, mais qui de fait le sont. (Il fait intervenir plusieurs groupes).
Claude Lévi-Strauss pose ainsi les bases d’une nouvelle théorie : le structuralisme, une théorie selon laquelle l'être humain ne peut être appréhendé qu'à travers un réseau de relations symboliques qui sont autant de structures auxquelles il participe sans en être conscient.
Une structure est un système dont les propriétés sont indépendantes des éléments qu’il renferme. Claude Lévi-Strauss, plus précisément, s’inspire des linguistes : la nature des sons est propre à chaque langue, mais l’ensemble opère toujours par oppositions distinctives. Le changement d’un élément modifie l’ensemble du système, selon des règles connues. « Le structuralisme de Claude Lévi-Strauss consiste, si l’on veut, à transposer les méthodes descriptives des linguistes à des unités de plus haut niveau que les sons ou les mots d’une langue : termes de parenté, taxinomies*, fragments de mythes. Ainsi, par exemple, dans un récit, l’apparition d’éléments anecdotiques comme du miel et du tabac peut être rapportée à une opposition plus générale entre le cru et le cuit, entre la nature et la culture ». (Revue sciences humaines, Nicolas Journet, N° spécial N°8 – Décembre 2008).
La crainte maléfique du semblable : Françoise Héritier.
Françoise Héritier reçoit l’enseignement de Claude Lévi-Strauss, auquel elle a succédé à la tête du Laboratoire d’anthropologie sociale. Elle est connue en particulier pour ses travaux sur les différences entre les sexes.
Les différences physiques des femmes et des hommes en termes de taille, de poids, de force, pourraient ne pas être une donnée biologique originelle, mais « une différence construite » due à « une pression de sélection » imposée par l'homme.
Avant d’aborder ces questions, dans la continuité de Claude Lévi-Strauss, elle approfondit les théories de l’échange et de la prohibition de l’inceste, établies sur la notion de circulation des femmes. Elle développe le concept de l'« identique » et de sa « frustration répulsive ». L’interdiction de l’inceste ne dépend pas strictement d’une obligation d’échanger. Dans un grand nombre de sociétés, l’inceste ne concerne pas seulement les parents consanguins, mais aussi les parents par alliance. Pourquoi un homme ne pourrait-il pas épouser sa belle-sœur ou sa belle-fille ? Cela n’a pas de rapport avec l’idée d’échange. Mais cela met en jeu l’éventualité d’un contact sexuel indirect entre deux frères, ou entre un père et son fils.
En 1994, Françoise Héritier a publié un livre intitulé Les deux sœurs et leur mère. Elle y avance une explication de la prohibition de l'inceste, qui s'efforce de dépasser la théorie de Claude Lévi-Strauss. Les interdits sexuels et matrimoniaux s'expliqueraient par le fonctionnement de l'esprit humain qui oppose l'identique et le différent. Si, par exemple, dans beaucoup de sociétés, l'homme ne peut se marier avec la sœur de sa femme, c'est, qu'en ayant des rapports avec deux sœurs, il mettrait en contact physique des identiques : on raisonne en termes de contacts du même avec le même, et on leur attribue des conséquences néfastes.
2. Evolution de la famille
Deux critères sont mis en avant par les auteurs pour définir la famille moderne : les sentiments et l’affectivité, le degré de liberté qu’elle accorde à chacun : le mariage devient donc plus un choix libre, entrainant une diminution ou une mise en cause plus forte des mariages consanguins liés a une obligation sociale.
a) L’invention des sentiments
Pour Durkheim déjà, les liens familiaux ne sont plus fondés sur la transmission des patrimoines mais sur le sentiment affectif, choisi, qui est beaucoup plus fragile. (Introduction à la sociologie de la famille, 1988, Emile Durkheim, dans Textes III, Paris, Minuit, 1975).
A l’origine, la famille répond à une vocation patrimoniale. En Grèce, le mot oikos désignait à la fois la cellule familiale et le patrimoine. À Rome, le lien de filiation entre le père et le fils était avant tout volontaire. Le père pouvait abandonner l'enfant ; la filiation par adoption était aussi naturelle que par la naissance. Le père gardait sur ses enfants, quel que soit leur âge, le droit de vie et de mort. Les mariages romain et grec, n'étaient pas fondés sur l'amour. Il avait pour fonction de perpétuer la race des citoyens romains. A partir du XIIe siècle, l’église fait du mariage un sacrement, modelant ainsi, par le consentement des époux, une société familiale européenne.
Philippe Ariès, historien, considère, en 1960, que la famille moderne est associée à l’invention de sentiments nouveaux, ceux de l’enfance et de la vie privée. La famille était contrôlée jusqu’au XVIIème siècle par la communauté locale et le réseau de parenté qui sanctionne les déviances. Le sentiment de l’enfance était inconnu. La mortalité des nourrissons était considérée comme naturelle. Il n’y avait pas de lien affectif fort entre les parents et leurs enfants. Celui qui avait survécu devenait un petit adulte. Au XVIIIème siècle, le privilège successoral de l'aîné disparaît. Il apparaît désormais inacceptable qu'un enfant soit préféré à un autre.
Pour Philippe Ariès, la famille moderne ne sert plus à la transmission d’un patrimoine et d’un nom, mais elle se replie sur la cellule conjugale qui sera le lieu de socialisation* de l’enfant : sentiment de l’enfance et conjugalité pour lui sont liés.
Cette approche a été critiquée : il y aurait eu des sentiments d’enfance dans le passé lointain. Mais d’autres auteurs ont comme lui adopté la position selon laquelle la famille moderne se caractérise par la naissance des sentiments intimes du couple, l’apparition des sentiments et de la vie privée (John Demos, 1970, Lawrence Stone, 1977, Edward Shorter, 1977).
b) Individualisme et affaiblissement de la norme sociale
Nous évoquons la montée de l'individualisme, dans la mesure où cette montée a influencé la liberté de choix de son conjoint. La norme sociale d’un mariage dicté par le groupe social, qui si elle n’est pas respectée, entraine une réprobation, s’affaiblit.
A la fin du XXème siècle et au début du XXIème, émergent les valeurs d’autonomie, la montée de l’individu. Cette individualisation se fait sentir au sein de l’institution de la famille. Les individus ne sont plus à son service, elle est au service des individus. Selon Antoni Giddens, sociologue britannique contemporain, les gens, au sein de la société contemporaine, exercent un choix, par opposition à la société traditionnelle.
Un grand nombre de travaux ont développé depuis vingt ans l’idée d’une individualisation de la société, en France par des auteurs tels que François de Singly, Jean-Claude Kaufmann, Claude Dubar. Ces travaux portent sur des domaines très divers : sociologie de la famille, du travail, des religions, de la politique, de la culture, des idées, etc. L'autonomisation de l'individu passant plus récemment et de plus en plus par un impératif d’accomplissement personnel de l’individu.
c) Mariage d’amour et mariage forcé
Dans un tel contexte, le concept du mariage à évolué et l’individualisation a progressé par rapport à la norme sociale (même s’il y a des normes explicites mais aussi implicites). Si dans le passé, les unions se faisaient pour des raisons sociales et économiques et étaient presque toutes arrangés ; à présent ce n’est plus le cas. En effet, une nouvelle notion est née : le mariage d’amour.
Cette notion veut dire que chacun choisit son propre conjoint et se marie par amour et non par convenance. La famille n’exerce plus le même pouvoir sur le choix du conjoint. Cela est principalement pratiqué dans les sociétés occidentales. Le mariage s’impose alors comme étant la célébration d’un amour fidèle et qui scelle un engagement entre les mariés. Il ne s’agit plus de faire des alliances entre des communautés ou des familles. Dans les sociétés occidentales la dot à même disparu. Evidement, les mariages arrangés existent toujours dans certaines sociétés. Les époux peuvent être consentants mais il subsiste aussi des mariages forcés.
L’histoire de Rashmi et Sanjay.
Un article paru dans le monde Romeo et Juliette à Dehekli (Le Monde du 3 aout 2010), raconte l’histoire de Rashmi et Sanjay qui ont triomphé de l'adversité.
Rashmi et Sanjay ont remis en cause le tabou. Rashmi est une Rajput, une caste supérieure de tradition guerrière qui régna naguère sur de nombreux Etats princiers d'Inde du Nord-Ouest. De son côté, Sanjay est originaire de l'Andhra Pradesh (Inde du Sud) et ne sait trop à quelle caste il appartient. Sa famille est chrétienne mais lui se définit plutôt comme « athée ».
Quand elle est tombée amoureuse de Sanjay en 2008, à New Delhi, sur leur lieu de travail (ils sont tous les deux des travailleurs sociaux), Rashmi savait qu’elle s’exposait aux plus grands dangers. Mais elle défie l'ordre immémorial*.
Au début de l'année, ils se marient en cachette à New Delhi et quittent la capitale pour fuir au Rajasthan. Ses parents la suppliant de venir les retrouver dans leur village, situé à la frontière de New Delhi et de l'Etat d'Haryana, elle revient les visiter et est alors séquestrée. Redoutant le pire, Sanjay mobilise des organisations de défense des droits des femmes. Une avocate militante se rend sur place à ses côtés. Embarrassés par toute cette agitation, les parents se résignent au mariage mais à une condition : que le village n'en sache rien.
Selon une étude menée par l'association Shakti Vahini, 72 % de ces « crimes d'honneur » visent des jeunes coupables d'unions inter castes. Dans l'écrasante majorité des cas, les victimes sont des filles. « Pour les traditionalistes, le mariage doit impérativement consolider la caste », souligne Prem Chowdhry, une chercheuse auteur d'un ouvrage sur les mariages « contentieux ».
L’exemple d’un site en France.
En France, des mariages forcés sont aussi signalés. Pour éviter ce genre d’union des sites de préventions sont mis en place tel que celui qui est dédié aux mariages forcés qui a été lancé en 2008 : www.mariageforce.fr.
Ce site contient les lois et le comportement qu’il faut avoir lorsque l’on suspecte qu’un mariage forcé va avoir lieu. Il explique aussi la démarche à faire lorsque l’on croit que l’on va être victime d’un mariage forcé.
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