Nous avons choisi de concentrer notre attention sur les motivations qui nous ont semblé spécifiques de ces périodes, c'est-à-dire sur les liens entre consanguinité et pouvoirs : pouvoir des dieux dans la mythologie, et pouvoir des pharaons et des familles royales.
1. Consanguinité et mythologie
Il nous a semblé intéressant d’évoquer en préalable la mythologie qui matérialisait les croyances, la représentation du monde et les peurs de nos ancêtres. Nous évoquerons tout d’abord l’arbre généalogique des origines, l’arbre généalogique de l’Olympe puis le mythe d’Œdipe.
Durant l’Antiquité, la mythologie permettait aux égyptiens, aux grecs, et plus tard aux romains, d’expliquer la création et l’origine de leur monde. Ainsi, celui-ci serait né grâce à diverses incarnations représentant les différentes parties du monde, ces dernières réalisant des unions consanguines.
Du Chaos nait Gaia, la Terre ; Eros, l’Amour ; Nyx, la Nuit et enfin Erèbe, l’obscurité des Enfers. De l’union d’Erèbe et de la Nuit, plus ou moins frère et sœur, nait le Jour et Ether, la lumière. Gaia donne naissance à Ouranos, le Ciel étoilé, et Pontos qui représente lui le flot marin. La mère s’unit à l’un des ses fils, Ouranos. Apparaissent alors de nombreuses créatures dont les géants, les cyclopes et les titans. Cronos, le roi des Titans, se marie avec sa sœur Rhéa. Le frère et la sœur donneront naissance aux dieux les plus connus : Zeus, Poséidon, Hadès, Héra et Déméter, les dieux de l’Olympe.
On retrouve l’identique dans la mythologie de l'Egypte Antique. Pour les Egyptiens, l'Univers n'est au départ qu'un grand Océan primordial nommé Noun. De Noun naquit le dieu Atoum, le soleil ; le dieu Chou, le souffle ; le dieu Tefnout, l'humidité. Chou sépara le ciel et la terre ; arrivèrent ainsi les dieux Nout et Geb. De l'union du dieu-terre Geb et de la déesse-ciel Nout naquirent deux fils Osiris et Seth et deux filles Isis et Nepht. Isis est à la fois la sœur et l'épouse du dieu Osiris. Le mythe d’Osiris a été introduit par Imhotep, grand prêtre et constructeur de la première pyramide, maison de l'éternité, du roi Djeser qui vécut vers -2700, -2800 avant JC.
L’arbre généalogique des dieux de l’Olympe comporte également de nombreuses unions consanguines. Celles de Zeus avec ses deux sœurs par exemple. En effet, Zeus, une fois arrivé à la tête de l’Olympe et dirigeant le Ciel et la Terre (laissant à ses frères, Poséidon et Hadès, les Mers et les Enfers), choisit comme épouse légitime Héra, sa propre sœur. Il aura avec elle trois enfants : deux garçons, Arès, Héphaïstos et une fille peu connue car rejetée par ses parents, Hébé. Peu après son mariage, Zeus n’hésite pas à tromper sa femme avec sa sœur et belle-sœur, Déméter. Le fruit de cette liaison donnera Perséphone.
Hadès, le frère de Zeus, se sentant seul aux Enfers, décide de trouver une épouse. Il choisit Perséphone, sa nièce, et se marie avec elle après avoir passé un compromis avec Zeus et Déméter. Perséphone partagera donc son temps entre sa mère et son époux.
Enfin, on peut citer l’exemple d’Héphaïstos qui s’unit à Aphrodite, fille de Zeus. Etant lui-même fils de Zeus mais issue d’une mère différente, il se marie donc avec sa demi-sœur. Héphaïstos conçoit enfin Erichthonios avec Athéna, elle aussi fille de Zeus, donc sa demi-sœur.
Il nous semble enfin nécessaire d’évoquer le mythe d’Œdipe, même si le mariage consanguin et l’inceste sont ici involontaires et finalement funestes, et donc pas véritablement approuvé. Il est en effet entré dans notre imaginaire, souvent repris par les artistes, peintres ou écrivains. On connait notamment la version de Sophocle, Œdipe Roi. Il sera également repris par Freud, pour illustrer un concept central de la psychanalyse, le complexe d'Œdipe, défini comme le désir inconscient d'entretenir un rapport sexuel avec le parent du sexe opposé et celui d'éliminer le parent rival du même sexe.
Œdipe est le fils de Laïos, roi de Thèbes, et de Jocaste. Selon des prédictions funestes d’un oracle, il tuerait son père et épouserait sa mère. Il fut donc envoyé loin de la ville pour éviter que le pire ne se produise. Cependant, la prophétie se réalisa : proclamé roi après avoir résolu l’énigme du sphinx, il épouse Jocaste, sa mère.
2. Consanguinité et pouvoir
Nous avons retenu trois exemples significatifs et très différents : les pharaons de l’Egypte Antique, la dynastie des Habsbourg et enfin les familles régnantes dans les îles d’Hawaï.
Les pharaons de l’Egypte Antique prolongent les pratiques de consanguinité de leurs dieux.
Les unions consanguines constituaient une pratique habituelle dans la famille royale. Le pharaon, considéré comme un dieu, pouvait, à l’instar d’Isis et d’Osiris, épouser sa sœur et sa fille. C'était une coutume qui s'appliquait seulement entre rois et reines. Ainsi, tous les dirigeants de la dynastie des Ptolémée se sont mariés à leurs frères et sœurs, de manière à garder le sang ptolémaïque "pur" et à renforcer la ligne de succession.
Toutankhamon, exemple le plus connu, est le fruit d’une union consanguine entre Akhenaton et sa sœur. Il aurait épousé Néfertiti en premières noces, et sa propre sœur en secondes noces. On peut également dire que, lorsque Toutankhamon accède au trône, il épouse sa demi-sœur, née de la première union de son père. On peut aussi citer l’exemple de Cléopâtre et de Ptolémée XIII.
Cependant il existe une ambiguïté de la langue car le mot "senet" désigne à la fois la sœur et la bien-aimée, et l'épouse pouvait aussi appeler son mari "mon frère". Ce qui peut donc porter à confusion au vu du contenu des textes retrouvés lors de fouilles.
Plus proche de nous, l’histoire de la grande famille des Habsbourg est jalonnée de mariages consanguins.
Cette famille a régné sur le Saint Empire romain germanique, l'Autriche, la Bohême, la Hongrie et l'Espagne pendant 174 ans. Elle fut ainsi l’une des principales familles à avoir régnée sur l’Europe. La dynastie s’éteignit au XVIIIème siècle. Cette famille pratiqua beaucoup les unions consanguines et se sont souvent mariés avec des membres proches de leur parenté, telles que des unions oncle-nièce, entre cousins ou autres.
On peut voir qu’entre 1516 et 1700, cinq souverains se sont succédé dans la dynastie des Habsbourg : Charles Quint, Philippe II, Philippe III, Philippe IV, Charles II. Ils avaient la particularité d’être le fruit d’une union consanguine principalement entre les Habsbourg d’Espagne et d’Autriche.
Tout d’abord, Philipe II (1527-1598) qui est le fils de Charles Quint et d’Isabelle de Portugal régna de 1556 à 1598. A ce moment là, son arbre généalogique comportait déjà plusieurs ancêtres communs tels que les parents de ses deux grands-mères qui sont Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon. Il contracta ensuite lui-même des mariages consanguins. En effet, il se maria quatre fois dont trois étant des unions consanguines. Il épousa ainsi deux de ses cousines : Marie Manuelle de Portugal (en 1543) et Marie Tudor (en 1554). Puis, ce fut l'archiduchesse Anne d'Autriche qui était sa nièce.
Par la suite, Philippe III (1578 - 1621) contracta un mariage avec Marguerite d'Autriche en 1599. Elle était en réalité la sœur de Ferdinand II dont il est le cousin germains et aussi le petit cousin. Ils eurent huit enfants dont Philipe IV (1578 - 1621) qui régna à la mort de son père.
Philipe IV se maria à deux reprises. La première fois, en 1615, il épousa Elizabeth de France. Puis, la deuxième fois, en 1649, il épousa Marie-Anne d’Autriche qui lui donna Charles II, le futur roi d’Espagne ainsi que Marie-Thérèse. Celle-ci épousa son oncle Léopold I
Enfin, lors du décès de son père et après une régence, Charles II prend le pouvoir. Il est alors le résultat d’une longue série de mariages consanguins.
Ainsi le degré de consanguinité* a augmenté au fil des générations jusqu’à atteindre 0,025 pour le roi Philippe Ier (1478-1506) pour ensuite atteindre 0,254 pour Charles I (1500-1558).
L’exemple d’Hawaï illustre la pratique de mariages consanguins dans l’océan pacifique.
Comme nous l'avons vu précédemment, la consanguinité fut présente dans plusieurs sociétés du passé, tel que dans l'Egypte antique et dans la dynastie des Habsbourg. Cependant, elle le fut aussi dans l'océan Pacifique, notamment dans l'archipel d'Hawaï, découvert en 1778 par James Cook qui l'appela les "'îles Sandwich". En effet, même si la pratique de l'inceste à Hawaï n'a été restreinte qu'à un nombre limité de personnes puisque les unions incestueuses n'étaient pratiquées qu'au sein des familles royales, elles ne choquaient en rien les Hawaïens. Ces unions incestueuses étaient ainsi pratiquées ouvertement, telle une tradition.
Les premiers explorateurs de l'île furent dans un premier temps frappés par la double spécificité de la consanguinité à Hawaï. En effet, celle-ci n'était pas autorisée au sein de la population Hawaïenne, excepté pour les membres de la famille royale. Les unions consanguines n'étaient donc pas jugées comme un péché, mais elles n'étaient pas non plus considérées comme une coutume propre aux Hawaïens.
L'inceste royal, considéré comme un privilège exclusif, était donc « non seulement accepté, mais encouragé » à Hawaï, fait remarquer l'historienne Joanne Carando. L'union incestueuse étant présente dans de nombreux mythes et légendes Hawaïennes, elle était alors considérée avec beaucoup de respect. D'après leur croyance, la divinité et l'éternité étaient acquises grâce à l'inceste. Celui-ci a été pratiqué à un tel point, qu'il a donné lieu à des mariages entre frères et sœurs. L'idéal était que ces unions se fassent entre jumeaux, c'est-à-dire des unions gémellaires. D'après plusieurs mythes de Polynésie, cette gémellité incestueuse est à l'origine du monde : elle se serait effectuée entre le ciel et la terre, ces deux moitiés, ces deux parties "jumelles".
Cependant, l’affection anime parfois ces liens. En effet, après avoir embrassé le christianisme, le roi Kamehameha III d’Hawaï, qui régna sur l'île de 1824 à 1854, continua à avoir des relations pendant plusieurs années avec sa sœur, à la grande satisfaction des anciens, mais au grand désespoir des missionnaires. Ils le faisaient, précise Joanne Carando, parce qu’ils s’aimaient.
Ainsi, cette forme d’union était considérée, pour l’Egypte Antique, les Habsbourg ou à Hawaï, comme un privilège royal.
Pourquoi un tel privilège ? Il s’agissait en fait de protéger le patrimoine de toute intrusion et de maintenir les dynasties au pouvoir. Epouser des membres de sa propre famille* permettait au roi de ne jamais partager ses richesses, ses privilèges et son pouvoir avec des personnes extérieures à la parentèle*. Le pouvoir se concentrait au sein d’une même famille royale, celle-ci n’avait alors aucun compte à rendre à de tierces personnes sur l’utilisation qu’elle en faisait. Ces unions permettaient aussi de limiter les guerres d’héritages et garantissaient à la famille royale de conserver ses richesses et son pouvoirs de génération en génération sans la dilapider. Ces mariages consanguins se contractaient donc pour des raisons économiques et sociales. Ils renforçaient la cohésion sociale* d’un groupe.
Les unions consanguines, dans le passé, comme un dispositif social institué et officiellement reconnu, concernent essentiellement les groupes sociaux au pouvoir, définis par l’appartenance à une famille. Elles permettent à celles-ci de conserver leur hégémonie* et de préserver le patrimoine dont elles disposent pour asseoir ce pouvoir. Il s’agit d’un outil essentiellement politique. Elevé au rang de privilège, il cohabite avec l’interdit valable pour le commun des mortels.
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