mercredi 9 février 2011

Introduction


La consanguinité, bien que courante dans notre histoire et toujours présente de nos jours, reste un tabou dans notre société et correspond dans notre imaginaire à une réprobation définitive et immuable. Elle est par exemple souvent identifiée à l’inceste*, notion à connotation négative forte aujourd’hui (relation sexuelle entre deux personnes parentes, recouvrant l’inceste consentant entre deux personnes majeures mais aussi le viol). Les conséquences médicales nocives mises en évidence par les études scientifiques masquent également la complexité de la consanguinité, comme fait social.

Or une exploration plus approfondie nous révèle que la consanguinité, au sens de « parenté par le sang de personnes ayant un ancêtre commun » (Larousse) n’a pas toujours été considérée négativement ou exclue ; sa perception sociale a varié selon les contextes historiques ou géographiques, tantôt conseillée et considérée comme un privilège ; tantôt interdite et même considérée comme impensable : les différentes époques et cultures ont adopté à son égard des points de vue différents.

Nous avons voulu dégager et comprendre les raisons pour lesquelles la consanguinité avait pu être acceptée, voire encouragée puis plus communément condamnée ou exclue.

Pour ce faire, nous avons été amenées à nous intéresser à la perception sociale de pratiques susceptibles de générer ou de favoriser la consanguinité, soit l’inceste, l’endogamie ou les mariages forcés.
Se dégagent au fil du temps à la fois le rôle social et économique joué par la consanguinité et l’évolution de la conception de la famille, plaçant notre étude dans le champ de deux disciplines : l’histoire d’une part et les sciences économiques et sociales d’autre part, et parmi celles-ci notamment l’anthropologie*.

Notre première partie consacrée à la consanguinité approuvée fera une part importante à l’exploration des contextes historiques et culturels ayant encouragé la consanguinité, car il nous a fallu partir à la recherche de ces situations, souvent méconnues ou oubliées. La consanguinité approuvée a, en outre, souvent été abordée par des sociologues ou anthropologues, à travers l’analyse de cultures ou de contextes spécifiques.
Dans notre seconde partie, nous procéderons en revanche directement à l’analyse des différentes facettes de la réprobation plus communément (ou presque) admise aujourd’hui de la consanguinité, en approfondissant chaque angle d’analyse (sociologique, religieux, scientifique, législatif).

Notre conclusion nous permettra de mettre en perspective cette évolution.

I) La consanguinité approuvée

  

A- la consanguinité dans le passé


Nous avons choisi de concentrer notre attention sur les motivations qui nous ont semblé spécifiques de ces périodes, c'est-à-dire sur les liens entre consanguinité et pouvoirs : pouvoir des dieux dans la mythologie, et pouvoir des pharaons et des familles royales.

1.                Consanguinité et mythologie


Il nous a semblé intéressant d’évoquer en préalable la mythologie qui matérialisait les croyances, la représentation du monde et les peurs de nos ancêtres. Nous évoquerons tout d’abord l’arbre généalogique des origines, l’arbre généalogique de l’Olympe puis le mythe d’Œdipe.

Durant l’Antiquité, la mythologie permettait aux égyptiens, aux grecs, et plus tard aux romains, d’expliquer la création et l’origine de leur monde. Ainsi, celui-ci serait né grâce à diverses incarnations représentant les différentes parties du monde, ces dernières réalisant des unions consanguines.
Du Chaos nait Gaia, la Terre ; Eros, l’Amour ; Nyx, la Nuit et enfin Erèbe, l’obscurité des Enfers. De l’union d’Erèbe et de la Nuit, plus ou moins frère et sœur, nait le Jour et Ether, la lumière. Gaia donne naissance à Ouranos, le Ciel étoilé, et Pontos qui représente lui le flot marin. La mère s’unit à l’un des ses fils, Ouranos. Apparaissent alors de nombreuses créatures dont les géants, les cyclopes et les titans. Cronos, le roi des Titans, se marie avec sa sœur Rhéa. Le frère et la sœur donneront naissance aux dieux les plus connus : Zeus, Poséidon, Hadès, Héra et Déméter, les dieux de l’Olympe.
On retrouve l’identique dans la mythologie de l'Egypte Antique. Pour les Egyptiens, l'Univers n'est au départ qu'un grand Océan primordial nommé Noun. De Noun naquit le dieu Atoum, le soleil ; le dieu Chou, le souffle ; le dieu Tefnout, l'humidité. Chou sépara le ciel et la terre ; arrivèrent ainsi les dieux Nout et Geb. De l'union du dieu-terre Geb et de la déesse-ciel Nout naquirent deux fils Osiris et Seth et deux filles Isis et Nepht. Isis est à la fois la sœur et l'épouse du dieu Osiris. Le mythe d’Osiris a été introduit par Imhotep, grand prêtre et constructeur de la première pyramide, maison de l'éternité, du roi Djeser qui vécut vers -2700, -2800 avant JC.
L’arbre généalogique des dieux de l’Olympe comporte également de nombreuses unions consanguines. Celles de Zeus avec ses deux sœurs par exemple. En effet, Zeus, une fois arrivé à la tête de l’Olympe et dirigeant le Ciel et la Terre (laissant à ses frères, Poséidon et Hadès, les Mers et les Enfers), choisit comme épouse légitime Héra, sa propre sœur. Il aura avec elle trois enfants : deux garçons, Arès, Héphaïstos et une fille peu connue car rejetée par ses parents, Hébé. Peu après son mariage, Zeus n’hésite pas à tromper sa femme avec sa sœur et belle-sœur, Déméter. Le fruit de cette liaison donnera Perséphone.
Hadès, le frère de Zeus, se sentant seul aux Enfers, décide de trouver une épouse. Il choisit Perséphone, sa nièce, et se marie avec elle après avoir passé un compromis avec Zeus et Déméter. Perséphone partagera donc son temps entre sa mère et son époux.
Enfin, on peut citer l’exemple d’Héphaïstos qui s’unit à Aphrodite, fille de Zeus. Etant lui-même fils de Zeus mais issue d’une mère différente, il se marie donc avec sa demi-sœur. Héphaïstos conçoit enfin Erichthonios avec Athéna, elle aussi fille de Zeus, donc sa demi-sœur.

Il nous semble enfin nécessaire d’évoquer le mythe d’Œdipe, même si le mariage consanguin et l’inceste sont ici involontaires et finalement funestes, et donc pas véritablement approuvé. Il est en effet entré dans notre imaginaire, souvent repris par les artistes, peintres ou écrivains. On connait notamment la version de Sophocle, Œdipe Roi. Il sera également repris par Freud, pour illustrer un concept central de la psychanalyse, le complexe d'Œdipe, défini comme le désir inconscient d'entretenir un rapport sexuel avec le parent du sexe opposé et celui d'éliminer le parent rival du même sexe.
Œdipe est le fils de Laïos, roi de Thèbes, et de Jocaste. Selon des prédictions funestes d’un oracle, il tuerait son père et épouserait sa mère. Il fut donc envoyé loin de la ville pour éviter que le pire ne se produise. Cependant, la prophétie se réalisa : proclamé roi après avoir résolu l’énigme du sphinx, il épouse Jocaste, sa mère.







2.               Consanguinité et pouvoir


Nous avons retenu trois exemples significatifs et très différents : les pharaons de l’Egypte Antique, la dynastie des Habsbourg et enfin les familles régnantes dans les îles d’Hawaï.

Les pharaons de l’Egypte Antique prolongent les pratiques de consanguinité de leurs dieux.
Les unions consanguines constituaient une pratique habituelle dans la famille royale. Le pharaon, considéré comme un dieu, pouvait, à l’instar d’Isis et d’Osiris, épouser sa sœur et sa fille. C'était une coutume qui s'appliquait seulement entre rois et reines. Ainsi, tous les dirigeants de la dynastie des Ptolémée se sont mariés à leurs frères et sœurs, de manière à garder le sang ptolémaïque "pur" et à renforcer la ligne de succession.
Toutankhamon, exemple le plus connu, est le fruit d’une union consanguine entre Akhenaton et sa sœur. Il aurait épousé Néfertiti en premières noces, et sa propre sœur en secondes noces. On peut également dire que, lorsque Toutankhamon accède au trône, il épouse sa demi-sœur, née de la première union de son père. On peut aussi citer l’exemple de Cléopâtre et de Ptolémée XIII.
Cependant il existe une ambiguïté de la langue car le mot "senet" désigne à la fois la sœur et la bien-aimée, et l'épouse pouvait aussi appeler son mari "mon frère". Ce qui peut donc porter à confusion au vu du contenu des textes retrouvés lors de fouilles.

Plus proche de nous, l’histoire de la grande famille des Habsbourg est jalonnée de mariages consanguins.
Cette famille a régné sur le Saint Empire romain germanique, l'Autriche, la Bohême, la Hongrie et l'Espagne pendant 174 ans. Elle fut ainsi l’une des principales familles à avoir régnée sur l’Europe. La dynastie s’éteignit au XVIIIème siècle. Cette famille pratiqua beaucoup les unions consanguines et se sont souvent mariés avec des membres proches de leur parenté, telles que des unions oncle-nièce, entre cousins ou autres.

On peut voir qu’entre 1516 et 1700, cinq souverains se sont succédé dans la dynastie des Habsbourg : Charles Quint, Philippe II, Philippe III, Philippe IV, Charles II. Ils avaient la particularité d’être le fruit d’une union consanguine principalement entre les Habsbourg d’Espagne et d’Autriche.

Tout d’abord, Philipe II (1527-1598) qui est le fils de Charles Quint et d’Isabelle de Portugal régna de 1556 à 1598. A ce moment là, son arbre généalogique comportait déjà plusieurs ancêtres communs tels que les parents de ses deux grands-mères qui sont Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon. Il contracta ensuite lui-même des mariages consanguins. En effet, il se maria quatre fois dont trois étant des unions consanguines. Il épousa ainsi deux de ses cousines : Marie Manuelle de Portugal (en 1543) et Marie Tudor (en 1554). Puis, ce fut l'archiduchesse Anne d'Autriche qui était sa nièce.
Par la suite, Philippe III (1578 - 1621) contracta un mariage avec Marguerite d'Autriche en 1599. Elle était en réalité la sœur de Ferdinand II dont il est le cousin germains et aussi le petit cousin. Ils eurent huit enfants dont Philipe IV (1578 - 1621) qui régna à la mort de son père.
Philipe IV se maria à deux reprises. La première fois, en 1615, il épousa Elizabeth de France. Puis, la deuxième fois, en 1649, il épousa Marie-Anne d’Autriche qui lui donna Charles II, le futur roi d’Espagne ainsi que Marie-Thérèse. Celle-ci épousa son oncle Léopold I
Enfin, lors du décès de son père et après une régence, Charles II prend le pouvoir. Il est alors le résultat d’une longue série de mariages consanguins.

Ainsi le degré de consanguinité* a augmenté au fil des générations jusqu’à atteindre 0,025 pour le roi Philippe Ier (1478-1506) pour ensuite atteindre 0,254 pour Charles I (1500-1558).

L’exemple d’Hawaï illustre la pratique de mariages consanguins dans l’océan pacifique.
Comme nous l'avons vu précédemment, la consanguinité fut présente dans plusieurs sociétés du passé, tel que dans l'Egypte antique et dans la dynastie des Habsbourg. Cependant, elle le fut aussi dans l'océan Pacifique, notamment dans l'archipel d'Hawaï, découvert en 1778 par James Cook qui l'appela les "'îles Sandwich". En effet, même si la pratique de l'inceste à Hawaï n'a été restreinte qu'à un nombre limité de personnes puisque les unions incestueuses n'étaient pratiquées qu'au sein des familles royales, elles ne choquaient en rien les Hawaïens. Ces unions incestueuses étaient ainsi pratiquées ouvertement, telle une tradition.
Les premiers explorateurs de l'île furent dans un premier temps frappés par la double spécificité de la consanguinité à Hawaï. En effet, celle-ci n'était pas autorisée au sein de la population Hawaïenne, excepté pour les membres de la famille royale. Les unions consanguines n'étaient donc pas jugées comme un péché, mais elles n'étaient pas non plus considérées comme une coutume propre aux Hawaïens.
L'inceste royal, considéré comme un privilège exclusif, était donc « non seulement accepté, mais encouragé » à Hawaï, fait remarquer l'historienne Joanne Carando. L'union incestueuse étant présente dans de nombreux mythes et légendes Hawaïennes, elle était alors considérée avec beaucoup de respect. D'après leur croyance, la divinité et l'éternité étaient acquises grâce à l'inceste. Celui-ci a été pratiqué à un tel point, qu'il a donné lieu à des mariages entre frères et sœurs. L'idéal était que ces unions se fassent entre jumeaux, c'est-à-dire des unions gémellaires. D'après plusieurs mythes de Polynésie, cette gémellité incestueuse est à l'origine du monde : elle se serait effectuée entre le ciel et la terre, ces deux moitiés, ces deux parties "jumelles".
Cependant, l’affection anime parfois ces liens. En effet, après avoir embrassé le christianisme, le roi Kamehameha III d’Hawaï, qui régna sur l'île de 1824 à 1854, continua à avoir des relations pendant plusieurs années avec sa sœur, à la grande satisfaction des anciens, mais au grand désespoir des missionnaires. Ils le faisaient, précise Joanne Carando, parce qu’ils s’aimaient.

Ainsi, cette forme d’union était considérée, pour l’Egypte Antique, les Habsbourg ou à Hawaï, comme un privilège royal.
Pourquoi un tel privilège ? Il s’agissait en fait de protéger le patrimoine de toute intrusion et de maintenir les dynasties au pouvoir. Epouser des membres de sa propre famille* permettait au roi de ne jamais partager ses richesses, ses privilèges et son pouvoir avec des personnes extérieures à la parentèle*. Le pouvoir se concentrait au sein d’une même famille royale, celle-ci n’avait alors aucun compte à rendre à de tierces personnes sur l’utilisation qu’elle en faisait. Ces unions permettaient aussi de limiter les guerres d’héritages et garantissaient à la famille royale de conserver ses richesses et son pouvoirs de génération en génération sans la dilapider. Ces mariages consanguins se contractaient donc pour des raisons économiques et sociales. Ils renforçaient la cohésion sociale* d’un groupe.

Les unions consanguines, dans le passé, comme un dispositif social institué et officiellement reconnu, concernent essentiellement les groupes sociaux au pouvoir, définis par l’appartenance à une famille. Elles permettent à celles-ci de conserver leur hégémonie* et de préserver le patrimoine dont elles disposent pour asseoir ce pouvoir. Il s’agit d’un outil essentiellement politique. Elevé au rang de privilège, il cohabite avec l’interdit valable pour le commun des mortels.

B- La consanguinité de nos jours (après 1900)


Notre recherche nous a permis de dégager deux grands types de contextes susceptibles de donner lieu à une consanguinité légitimée. Tout d’abord l’isolement géographique bien que de moins en moins fréquente. Puis, les systèmes fondés sur l’endogamie* qui sont souvent sous les feux de l’actualité.
Nous avons choisi pour les illustrer des exemples représentatifs des situations semblables dans le monde ayant fais l’objet d’études spécifiques. Celles-ci nous apportent des données précieuses sur les raisons qui peuvent légitimer, pour la société, la consanguinité.

1.               Consanguinité et « isolats géographiques »


Le terme d’isolat a été créé par la génétique des populations pour désigner les situations dans lesquelles un individu n’a pas la possibilité de se marier en dehors de certaines limites géographiques ou certains milieux historiques, économiques et sociaux. Les possibilités d'exogamie* y sont réduites ; nous parlons ici de l’isolat géographique.
On observe un certain nombre de cas extrêmes qui ont permis aux généticiens d’observer les conséquences médicales de la consanguinité. Mais, dans une moindre mesure, on retrouve cette notion atténuée dans des zones rurales avec une population dispersée.

a)               L’isolement extrême


Le cas des indiens Jicaqques.
Il y a un siècle, en 1870, huit indiens Jicaqques, au Honduras, décidèrent d’échapper aux conditions de servage que leur imposaient les colonisateurs espagnols et les métis. Ils se refugièrent dans les montagnes et fondèrent un groupe complètement isolés, dans la région de la Montana de la Flor. L’effectif atteint aujourd’hui 300 personnes. Au cours de ce siècle d’existence, cette communauté a eu peu de contacts avec le monde extérieur. Ils ont élevé des clôtures aux deux portes d’entrée de leur domaine.



L’île de Tristan da Cunha.
Tout d’abord, Tristan Da Cunha est une île qui se situe dans l’océan Atlantique sud dans l’archipel qui porte le même nom. Cet archipel comporte quatre autres îles : Nightingale (le rossignol), Inaccessible, Middle, et Stoltenhoff. Elle a une superficie de 98km² et est entourée par des falaises de 300 à 600 mètres de hauteur. Elle est aussi l’unique île habitée et ne compte que 260 habitants, tous de nationalité britannique. Le seul village se nomme Edimbourg. On ne peut compter que huit noms de famille. L’île se définit comme l’endroit habité le plus isolé de la planète selon le livre Guinness des records.
L’île a été découverte par les portugais en 1506 et a été baptisé selon le nom de celui qui l’a découverte : Tristan da Cunha. Les Anglais ont, par la suite, annexé l’île en 1816. Une petite garnison avait alors été établie puis, lors de leur retour en 1817, un des soldats décida de rester avec sa famille : William Glass. Tout au long des années qui suivirent plusieurs autres familles arrivèrent pour s’installer sur Tristan da Cunha. Ce qui augmenta le nombre de patronymes* à huit : Green (Néerlandais), Swain (anglais), Hagan (américain), Rogers (américain), Repetto, Lavarello (italien) et récemment Patterson.

En 1961, une éruption volcanique provoqua l'exil de la population entière vers la Grande-Bretagne à laquelle ils sont rattachés. En 1963, alors qu’ils avaient le mal du pays et ne s’adaptaient pas bien aux villes anglaises, la moitié de réfugiés retournèrent sur leur île.

Aujourd’hui, il faut six jours de navigation pour rallier Tristan da Cunha à la ville la plus proche du Cap en Afrique du Sud. Il n’y a pas d’aéroport, pas d’hôtel, peu de voitures, peu de routes, pas de rond-point, pas de feux rouges, peu d’insécurité, un policier, et des fonctionnaires locaux. Ils possèdent cependant une liaison au satellite. Ils aussi vivent principalement grâce à la pêche de homard. Ils sont auto-dépendants car ils n’ont la visite que de deux ou trois bateaux par an.

Ainsi, cet exemple montre qu’un contexte caractérisé par un petit nombre d’habitants vivant sur l’île ainsi qu’un isolement quasi-total du reste du monde, avait légitimé aux yeux de la société locale la contraction d’unions consanguines au sein de l’île.

b)               Consanguinité et régions rurales


Nous avons trouvé plusieurs études, publiées pour la plupart dans les années soixante, lors du développement de la génétique des populations humaines. Elles ont permis de mettre en évidence une plus forte consanguinité dans certaines régions rurales, notamment avant le développement des migrations. Ainsi, La consanguinité des canadiens français (revue Population, 1967, N°5, Claude Laberge), souligne que l’isolement marqué du Québec dans l’Amérique anglo-saxonne, a entrainé pendant longtemps un taux de consanguinité plus important qu’aux Etats-Unis, les mêmes groupes familiaux y étant représentés. L’étude s’est notamment basée sur le nombre de dispenses pour des mariages consanguins sollicités dans le cadre des paroisses auprès des autorités religieuses. La baisse des taux observés correspond ensuite à l’influence des migrations urbaines.
La diminution généralisée de la consanguinité due à la rupture des isolats géographiques est également confirmée dans plusieurs études : La consanguinité d’une population. Application à trois provinces de l’Italie du nord (Revue population, N°1, 1959, Angelo Serra, Antonio Soini) ; Evolution de la consanguinité en France de 1926 à 1958 (Revue de population, N°4, 1962, Jean Sutter, Jean-Michel Goux).
Plus récemment, la revue Science publiait une étude consacrée à l’Islande, faisant état d’une consanguinité, pendant des centaines d’années, en raison de sa petite population isolée.

Nous avons choisi de rendre compte de façon plus détaillée d’une étude consacrée à une région rurale du Maroc. Etude récente parue en 2009 ; elle s’appuie sur les observations faites dans d’autres études réalisées au cours des dernières années et rend compte de la complexité des facteurs qui interviennent dans de telles régions.






La région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaer.

L’étude sociologique menée sur cette région du Maroc permet d’approfondir les raisons qui conduisent encore aujourd’hui à légitimer socialement la consanguinité.

Une étude sur les mariages consanguins a été effectuée sur la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaer par l’anthropologue marocain Benhamadi. Elle cherche à déterminer les raisons et les facteurs qui poussent à ce genre d’union. (Les déterminants de l’endogamie au Maroc, DHS 1 et 2. Thèse de doctorat 1967. Université de Montréal, Canada.).
Selon cette étude, les conjoints peuvent subir l’influence de leurs parents qui veulent exercer un contrôle sur le choix du conjoint. La famille ne laisse alors pas le choix aux mariés et impose leur volonté. Plusieurs raisons expliquent ce comportement de la part des parents.

Ils cherchent tout d’abord à maintenir leur patrimoine au sein de la famille car ils ne veulent pas partager leurs biens avec d’autres personnes. Cela rappelle alors les raisons des mariages consanguins dans les familles royales. Cela permet la transmission des biens et parfois le remboursement de dettes. Dans certaines sociétés cela apporte aussi à la famille une dot.

La parenté* implique aussi l’assurance de bonne relation entre la mariée et les beaux parents. Dans ce cas, ils se connaissent déjà et viennent du même milieu car ils sont de la même famille ; ils ne risquent pas d’y avoir de discordes familiales. Ce qui assure au couple une stabilité dans le mariage. Leur entente sera meilleure car ils possèdent la même culture et les mêmes croyances.

Certains facteurs poussent aussi les mariés à accepter ces alliances. Ainsi, les femmes ayant grandit dans un milieu rural présentent une probabilité de mariage consanguin plus forte. En effet, 60% des citadines ayant contracté une union consanguine déclarent avoir passé leur enfance à la campagne. Cela peut s’expliquer par le fait que les familles sont isolées dans les campagnes et les membres dépendent les uns des autres. La famille est alors une valeur importante pour tout le monde car ils sont très soudés. Les femmes ne connaissent personne d’autre et ne voient pas les autres possibilités qui s’offrent à elles. Elles cèdent ainsi à la pression familiale et ne cherchent pas l’indépendance comme les femmes venant des milieux urbain.

De plus, l’âge du premier mariage est aussi un discriminant*. Toujours selon cette étude, les femmes qui se marient à un âge jeune, c'est-à-dire avant d’atteindre les vingt ans, multiplient par 5,25 leurs chances de se marier à un parent par rapport à celles qui se marient plus tardivement. En effet, à cet âge, les femmes dépendent encore de leur famille financièrement. Leur jeunesse les rend aussi plus influençable ce qui les pousse à accepter leur mariage avec un parent proche.

L’instruction est aussi importante dans le choix du mariage. Une femme sans instruction a au moins seize fois plus de risques de contracter une union consanguine. Cela s’explique par le fait qu’une femme sans instruction ne connaît que ce que sa famille lui a dit et n’a pas de point de vue critique sur ces dires. Elle n’a pas le recul que l’éducation lui aurait donné. De plus, elle risque de ne pas trouver de travail car elle est sans instruction. Cela lui enlève toute possibilité de dépendance financière. Ainsi non seulement elle ne connait pas les autres choix qui peuvent s’offrir à elle mais en plus elle n’a pas la possibilité de se détacher de leur famille. Elle doit alors accepter le choix de son conjoint par ses parents.

Enfin on observe un dernier type de raison, la raison migratoire : pour certains mariages, cela permet d’obtenir des titres de séjour dans des pays.

Ces mariages s’expliquent donc par des causes multiples, familiales, économiques et parfois migratoires.


2.               Consanguinité et endogamie


Le Larousse définit l’endogamie comme « l’obligation, pour les membres d'un groupe social défini (tribu, lignage, etc.), de contracter un mariage à l'intérieur de ce groupe ».
On parle d’obligation : l’endogamie induit donc souvent la pratique des mariages forcés.

Nous partirons du système des castes en Inde car il nous semble le plus représentatif : il permet d’identifier les différents facteurs susceptibles de fonder l’endogamie, et, dans le cas présent, d’interdire le mariage entre individus de castes différentes. Il est aussi le plus actuel, puisque selon Robert Delige (Les castes en Inde aujourd’hui, PUF 2004, citée dans la revue Sciences Humaines, n° 154, novembre 2004), contrairement à ce que l’on pense, « dans l’opinion, l’importance de la caste n’a fait que croître, au point que 60 % des indiens lui accordent aujourd’hui une place essentielle, contre 40% au lendemain de l’indépendance. »
Les castes sont en effet, selon lui, devenue « l’instrument d’une concurrence entre de grands blocs de communautés pour l’accès aux ressources économiques et sociales, à la culture et au pouvoir ». Certaines castes ont ainsi tiré parti du libéralisme*, voir du capitalisme* moderne, « tout en gardant les traits fondamentaux de la caste : mariages endogames, culte d’une divinité propre, identité professionnelle emblématique ».
Selon cet auteur, le système des castes conjuguerait donc à la fois une forme d’obscurantisme et « une capacité d’adaptation aux aléas sociaux » (Robert Delige, les castes en inde aujourd’hui PUF).

Dans une étude particulièrement intéressante, Le système des castes et les mariages consanguins en Andhra Pradesh (Revue population, 1964, K.R.Dronamraju), l’auteur constatait déjà le lien entre le système endogamique des castes et le taux très élevé des mariages consanguins. Dans le contexte évoqué, « la forme la plus fréquente de mariage consanguin se contracte entre un garçon et la fille de son oncle maternel, la forme la plus étroite entre un garçon et la fille de sa sœur ».
Le mariage consanguin, et donc la structure sociale, apparaissent comme les facteurs déterminants du maintien d’un taux important de consanguinité, l’auteur contestant, dans la région étudiée, l’influence d’un éventuel facteur géographique d’isolat, les sous-castes n’ayant pas des dimensions restreintes. « Même s’il est raisonnable de penser, de manière générale, que lorsqu’une population est divisée en plusieurs groupes endogames, cela doit conduire à une incidence accrue de mariages entre apparentés ».

Origine et définition du système des castes.
On fait généralement remonter l’origine des castes aux invasions des aryens venus du nord-ouest de l’Inde avant notre ère. Les classes savantes et cléricales auraient mis en place progressivement les lois sociales pour diviser et organiser les populations indigènes sur la base de leurs occupations, pour s’assurer la position la plus élevée. Mais d’autres auteurs voient l’origine du système des castes dans la culture des tribus indiennes primitives, donc pré aryenne.

La communauté hindoue est constituée de quatre classes de dimension inégales appelées Varnas. Ces varnas s’identifient par l’emploi des gens qui la constituent et se classent dans l’ordre de leur rang social. On peut les assimiler à des classes ou des ordres. Par exemple, la plus élevée est celle des savants, des enseignants et des administrateurs. Les Brahmanes, qui sont les prêtres et les enseignants, auxquels les autres castes doivent le plus grand respect. Ensuite, les Kshatriyas ("soldats chasseurs" en sanskrit) qui regroupent les guerriers et les souverains. Puis, les Vaysas, se constituant d'artisans et d'agriculteurs, et enfin les Shudras, les serviteurs. Les Harijans (anciennement intouchables) forment un « cinquième peuple », appelés panchamas en sanskrit.
Chaque Varna est constitué de plusieurs subdivisions endogames appelées castes ; là aussi, chacun des groupes a un rang déterminé dans la varna : les « niyogi », « vaidiki », « dravida », « aarama », « dravida ». Par exemple, les vaidikis ont pour occupation principale la prêtrise. Il existe également des sous-castes.

Les amours inter castes et même interconfessionnelles (hindous et musulmans) sont aujourd’hui plus fréquents mais l'Inde rurale résiste.
Par ailleurs, les sous castes contiennent aussi des unités exogames, appelées « gotras » : deux conjoints proviennent de « gotras » différentes de la même caste ; ce système prohibe les mariages avec l’oncle paternel, mais non avec l’oncle maternel. « Les interdictions de se marier au sein de la même « gotra », créant une exogamie imposée, se combine donc à l’impérieuse endogamie de la caste » (Revue population, 1964, K.R.Dronamraju).
Aujourd’hui, les conseils de castes se targuent de veiller par cette interdiction sur la qualité génétique des communautés. (Le Monde du 3 août 2010, « les conseils de castes veillent sur la qualité génétique »).
Ces interdits génèrent des crimes d’honneur (« khap panchayat ») frappant des unions inter castes ou intra gotras, notamment dans les régions du nord de l’Inde.

Les raisons d’être du système des castes.
Nous pouvons tout d’abord observer comme raison première le renforcement du pouvoir de castes supérieures : le mariage consanguin permet de préserver la rigidité de l’organisation sociale.
Puis, la division des terres entre en jeu : les mariages consanguins permettent de préserver la grande taille des parcelles, par exemple pour cultiver le riz. La région étudiée par l’auteur est essentiellement agricoles.
A ces raisons, s’ajoute l’influence parentale : les mariages sont arrangés par les parents ; cela correspond à une très forte tradition de soumission à l’autorité paternelle dans familles hindoue. Cette soumission ne disparaît pas lorsque le jeune devient indépendant économiquement. A l’origine, on observait beaucoup de mariages « enfantins » puis très précoces.
Grâce au mariage arrangé les parents utilisent l'union de leurs enfants pour atteindre leurs propres objectifs économiques ou sociaux. Cependant, il faut préciser que c’est une tradition culturelle et que les époux donnent leur consentement.

Ces formes d’unions sont toujours présentes en Tunisie, en Afrique et en Inde. Elles le sont aussi chez les musulmans. Voici quelques chiffres concernant les mariages arrangés selon l’Atlas de la sexualité dans le monde.
On peut voir qu’en Chine, 80% des mariages sont arrangés. 60% sont organisé par une marieuse et 20% sont organisé par les parents du couple en question. En Inde, le pourcentage de mariage arrangé monte à 95%.
Dans certains pays on peut parler de mariage forcé. C’est à dire être marié à une personne connue ou inconnue contre son gré. Ils ont lieu dans de nombreux pays : Irak, Yémen, Maroc, Egypte, Albanie, Ethiopie, Inde. Même aux Etats-Unis, dans certains états, les mariages sont autorisés qu’avec le consentement des parents et à partir de 12 ans pour les filles et de 14 ans pour les garçons.

Ainsi, de nos jours les mariages arrangés sont toujours fréquents. Cela permet de faciliter la transmission d'un patrimoine ou de le rendre plus important
Les mariages consanguins apportent également un sentiment de sécurité par la connaissance intime de la situation morale, économique et culturelle des familles consanguines choisies.
Ils rapprochent également régulièrement des éléments divergents, et réunissent sous le même toit plusieurs familles, ce qui permet de mutualiser les ressources et de partager les frais.

Enfin, le critère de « pureté » religieuse est mis spécifiquement en avant dans le système des castes.
Un anthropologue, Louis Dumont a proposé, dans un livre, paru en 1966, et encore discuté aujourd’hui, une interprétation globale du système des castes en Inde. Les castes indiennes seraient, non des entités séparées, mais organiquement liées par des rapports hiérarchiques, c'est-à-dire déterminée par leur place dans l’échelle de pureté védique (cette relation hiérarchique s’opposant aux relations d’échange décrites par Claude Levi -Strauss que nous décrirons plus loin). (Revue sciences Humaines N° 42, Novembre 2003, « Homo hiérarchique. Le système des castes et ses implications »).
Dans le concept du "Dharma", mot sanskrit qui signifie "devoir religieux", ou encore "obligation morale", chacun a un destin propre, selon ses croyances, ses incarnations précédentes, son travail, son groupe ethnique et linguistique. Plus on est pieux dans la vie actuelle, meilleure sera la caste lors de la prochaine incarnation, jusqu'au Nirvana.